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Éloge d’Henri Korn

Henri Korn (1934-2023), ancien interne des hôpitaux de Paris, docteur en médecine et docteur ès sciences, neurobiologiste, professeur à l’Institut Pasteur, directeur de recherche à l’Inserm, membre de l’Académie des sciences, a apporté des contributions fondamentales à l’électrophysiologie du système nerveux et s’est en outre fortement investi dans les questions de biosécurité tant au niveau scientifique que politique[1].

Médecin formé aux disciplines de la clinique neurologique, de la recherche neurophysiologique sur l’animal (avec Denise Albe-Fessard à l’Institut Marey), et à l’électromyographie clinique, Henri Korn partit pour un séjour d’études en 1963 à Budapest chez l’illustre Janos Szentagothai, l’auteur de travaux sur le cervelet comme machine neuronale (titre d’un ouvrage avec John Eccles et Masao Ito). Szentagothai lui recommanda de séjourner dans le laboratoire de John Eccles à Chicago, où il arriva en 1968. John Eccles avait reçu le prix Nobel de Physiologie ou médecine en 1963 pour ses travaux sur la synapse.

Fig 1 : Sir John Eccles

Le séjour américain de longue durée (jusqu’en 1972) d’Henri Korn constitua l’occasion d’un nouveau départ de sa carrière en microphysiologie du système nerveux des vertébrés débutée à Paris avec Denise Albe-Fessard, Alfred Fessard et Pierre Buser. Il suivit le déménagement de John Eccles de Chicago à Buffalo où il rencontra Donald Faber, début d’une collaboration aussi longue que fructueuse. C’est ainsi que les deux chercheurs découvrirent l’existence de cellules inhibitrices dans le cervelet de la grenouille à côté de synapses excitatrices, ce qui constitua une réelle avancée scientifique. En vue d’étudier les synapses électriques, Korn quitta Buffalo pour l’Albert Einstein College of Medicine à New York. Lors d’un séjour au laboratoire de biologie marine de Woods Hole dans le Massachusetts, il découvrit l’existence de ces synapses électriques dans le système oculomoteur du poisson boule, synapses électriques à action rapide à côté de synapses chimiques à action lente dans les mêmes motoneurones. Henri Korn découvrit également l’existence de synapses mixtes, associations de jonctions électriques et chimiques dans la même structure. Le séjour américain d’Henri Korn fut donc extrêmement productif, ce qui lui permit de revenir à Paris dans les meilleures conditions, avec le soutien du très prestigieux John Eccles et l’appui de collègues parisiens, Robert Naquet, Yves Laporte, Alfred Fessard, René Couteaux et Pierre Buser.

Ayant installé un laboratoire au département de physiologie nerveuse de la Salpêtrière, il y développa d’intenses collaborations franco-américaines en matière d’électrophysiologie de la cellule de Mauthner chez le poisson rouge, étudiée avec Don Faber. La cellule de Mauthner est une cellule de grande taille qui sert de déclencheur de fuite. Les deux chercheurs découvrirent l’existence d’une action électrique de voisinage, non synaptique, entre neurones voisins et identifièrent des interneurones inhibiteurs à terminaisons à la fois électriques et chimiques. L’exploration de la cellule de Mauthner allait ouvrir d’autres portes, vers la biophysique des membranes, la structure fine des synapses, la mathématique des réseaux nerveux, le comportement animal, et la biologie moléculaire lorsque la technique dite du patch clamp permit d’enregistrer l’activité de canaux ioniques de petits fragments de membrane. A l’occasion de ces nouveaux développements, Henri Korn est appelé par Jean-Pierre Changeux et François Jacob à fonder à l’Institut Pasteur une unité Inserm de neurobiologie cellulaire.

De tels travaux n’étaient pas sans conséquences pour ainsi dire philosophiques sur la conception du fonctionnement du système nerveux central, s’éloignant fortement de notions comme celles de neurone de commande, de décision, ou de modèle hiérarchique (modèle particulièrement présent dans certaines théories de la vision comme celles de David Hubel, Torsten Wiesel et David Marr), pour promouvoir une vision beaucoup plus subtile d’une dynamique en réseau descriptible plutôt par des modèles statistiques. Les résultats expérimentaux imposaient une vision à la fois quantique (d’émission par tout ou rien du contenu des vésicules synaptiques par zone active – avec quelques nuances qu’il s’est avéré nécessaire d’introduire) et statistique de la neurotransmission. Comme l’a écrit Henri Korn, ce travail

n’en remit pas moins en cause  la vision de la transmission synaptique que Don et moi imaginions alors. Non seulement la transmission entre les neurones n’était plus déterministe, garantie et massive après chaque influx, mais elle devenait variable et incertaine, probabiliste en somme, puisque moins assurée après chaque sollicitation de la synapse. Surtout, elle mobilisait un nombre restreint de vésicules synaptiques donc de quanta, après chaque influx nerveux [2].

Dans son ouvrage Terres promises de notre temps (Paris, Odile Jacob 2016), Henri Korn a retracé son itinéraire scientifique. Henri Korn a eu un fort engagement en matière de politique scientifique publique. Il fut nommé conseiller scientifique du ministre de la Défense nationale Pierre Joxe en 1991, chargé de la biologie. Il s’agissait d’exercer, dans ce domaine, la tutelle de la Direction des recherches et études techniques qui couvrait toutes les recherches militaires et établissait un lien avec la recherche civile dans toutes les disciplines scientifiques en finançant de grands laboratoires universitaires. La DRET était très au courant de toute la recherche française, de l’espace à la médecine, et aussi au courant des recherches russes. Les questions de guerre chimique et de guerre biologique ne lui échappaient pas. Visitant le Pentagone à Washington en 1992, Henri Korn prit conscience de la réalité du risque biologique. Un rapport de la DRET fut publié en 1992. Avec certains de ses confrères à l’Académie des sciences, dont Paul Germain, il créa le comité « Sciences, technologie et stratégie » aux travaux duquel participèrent plusieurs officiers généraux. Henri Korn fut approché par la DARPA américaine, la Defense Advanced Research Project Agency, pour devenir conseiller en neurosciences. A cette occasion, il put prendre conscience de l’ouverture d’esprit qui y régnait. En 1995, Korn remit au gouvernement français un rapport sur les dangers des armes biologiques et chimiques, sans effet. Pourtant, les informations sur le programme  de recherche russe sur les armes biologiques s’accumulaient. L’attaque par le bacille du charbon qui suivit l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 reçut un écho mondial. L’Académie des sciences, avec le soutien résolu du Secrétaire Perpétuel Jean-François Bach, créa en 2005 le comité Science et sécurité, bientôt devenu Science et biosécurité. Le rapport du comité à l’Académie des sciences, rédigé par Henri Korn, Patrick Berche (microbiologiste, doyen de la Faculté de médecine Necker – Paris Descartes) et Patrick Binder, médecin général inspecteur, portait le titre Les menaces biologiques. Biosécurité et responsabilité des scientifiques. Il fut publié en 2008. Ce rapport eut finalement pour conséquence la création par décret du Premier Ministre Manuel Valls du Conseil national consultatif pour la biosécurité en 2015, conseil réunissant des membres de l’Académie des sciences et des responsables de diverses structures gouvernementales. Henri Korn et ses collègues avaient finalement gagné. Henri Korn fut un scientifique exemplaire tant par sa capacité d’innovation que par son engagement et sa responsabilité.

Claude Debru

Références

[1] Ce qui va suivre est extrait de Henri Korn, « De l’électrophysiologie à la biosécurité », in C. Debru (dir.), Les sciences en guerre froide (1946-1991), France-Union soviétique et pays de l’Est, Vol. I Témoignages, Huningue, Presses universitaires Rhin et Danube, 2022, p. 325-340.

[2] Henri Korn, op.. cit., 2022, p. 331.


Crédits

Illustration mise en avant : Henri Korn, Fonds Henri Korn, Archives de l’Académie

Figure 1 : Wellcome Library, London (source). Creative Commons Attribution only licence CC BY 4.0


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Claude Debru (4 février 2025). Éloge d’Henri Korn. Vie des sciences. Consulté le 10 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/138pn


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