Ut mundum noscas… Flâneries autour d’un feuillet d’Ampère – Partie 1

Sauf à écrire plusieurs centaines de pages, on ne raconte pas aisément la vie d’un génie et l’étendue de son éclectisme. Parfois, cependant, un brouillon lève un coin d’un grand voile et permet d’effleurer quelques aspects d’une activité intellectuelle exceptionnelle et d’une personnalité qu’on découvre dans des écrits variés et parfois inattendus. Un exemple nous est fourni ici par une page d’Ampère conservée aux Archives de l’Académie des sciences.

Ampère, en très court

Chacun connaît, au moins de nom, André-Marie Ampère (Lyon, Saint-Nizier, 1775 – Marseille, 1836) par une voie ou un établissement d’enseignement (l’odonymie est fournie !), lequel partage seul avec William Thomson (mieux connu sous le nom de Lord Kelvin) le privilège de voir son nom utilisé pour désigner un des sept piliers du système international d’unités. Son nom est gravé avec 71 autres illustres sur la Tour Eiffel. On s’apprête d’ailleurs à célébrer les 250 ans de sa naissance, sous le parrainage de deux Prix Nobel de physique français : A. Aspect (2022) et A. L’Huillier (2023).

Nous ne donnerons pas ici de biographie d’Ampère, même résumée, le lecteur pouvant se reporter à celles éditées : de Launay (1925), Visan (1936, texte rédigé à l’occasion du centenaire du décès), Valson (1910), Marbach (2004) ou Jacques (2021).

Les plus récentes s’appuient sur les plus anciennes mais toutes restent essentiellement bâties sur la correspondance d’Ampère (plus de 1100 lettres conservées), ensemble de textes collationnés finalement édités entre 1936 et 1943 sous le titre “Correspondance du Grand Ampère“

On rappellera simplement qu’il fut curieux, chercheur, enseignant (en particulier à l’École polytechnique et au Collège de France), membre de l’Académie des sciences en 1814 dans la section intitulée à l’époque géométrie. Plusieurs évènements personnels majeurs semblent avoir orienté sa vie : la mort de son père, notable bourgeois issu des milieux soyers, guillotiné à Lyon fin 1793, sa rencontre avec Catherine Antoinette Carron (Lyon, Saint-Vincent, 1773 – Lyon, 1803), en 1796, son seul amour qu’il n’appellera que Julie et épousa en 1799, la naissance de son fils Jean-Jacques (Lyon, 1800 – Pau, 1864) possiblement prénommé ainsi en souvenir du père exécuté, mais peut-être aussi en référence à Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778) que le père admirait, et la mort de Julie, de tuberculose, en 1803.¹ Ces drames et bonheurs familiaux ne semblent pas étrangers aux nouvelles réflexions qu’il engagera au fil des ans : restant certes mathématicien, physicien, voire chimiste, botaniste ou géologue, il va approfondir religions, philosophies et langues.

Il décède lors d’une tournée liée à ses fonctions d’inspecteur général de l’Université, à l’aube du 10 juin 1836, suite à une pathologie qu’il portait depuis des années, dans les locaux du lycée royal de Marseille (actuel lycée Thiers), créé, alors impérial, fin 1802 dans un couvent de Bernardines. Connu à Paris, mais peu connu à Marseille hors sa qualité ministérielle de haut fonctionnaire de l’instruction publique, il y est inhumé sans honneurs spécifiques. Son acte de décès rappelle cependant qu’il était “chevalier de la Légion d’Honneur, membre de l’Institut, professeur au Collège royal de France, inspecteur général des études, etc.”. On dit que, passant à Marseille en 1838, Chateaubriand (1768 – 1848), qu’il avait très certainement rencontré dans les salons parisiens dont en particulier celui de Madame Récamier (1777 – 1849), fréquenté dès 1820 par le fils, dès 1808 par son père, fit ériger une croix sur sa tombe. Ampère retrouvera Paris en 1869 : les amis de Jean-Jacques, devenu historien, linguiste, écrivain, grand voyageur, littérateur polygraphe, élu à l’Académie française en 1847² ont fait que le père et le fils³ reposent désormais ensemble au cimetière Montmartre sous deux médaillons de bronze.

Ampère : ses archives à l’Académie des sciences

26 cartons, 394 chemises… des milliers de feuillets

Essentiellement connu comme physicien, de formation éclectique et plutôt autodidacte forgeant ses connaissances par la lecture des textes contenus dans la bibliothèque paternelle de Poleymieux⁴, typiquement l’Histoire naturelle de Buffon (1707 – 1788) ou l’Encyclopédie de d’Alembert (1717 – 1783) et Diderot (1713 – 1784). Son apprentissage du latin lui permettra d’accéder aux œuvres d’Euler (1707 – 1783) et de Bernoulli (1700 – 1782) après s’être attaché aux coniques chez Rivard (1697 – 1778) ou aux publications de Lagrange (1736 – 1813). Il a touché à peu près à tout. On s’en rend compte immédiatement en consultant ses archives personnelles précieusement conservées à l’Académie des sciences dans un fond dédié. Ces archives ont fait l’objet d’un premier classement entre 1836 et 1842, d’un deuxième en 1885 et d’un troisième en 1936 – 1937. Il en résulte aujourd’hui un ensemble catalogué constitué physiquement de chemises numérotées de 1 à 394, réparties en 26 cartons. L’ensemble a été catégorisé en 20 chapitres thématiques. Ces chapitres sont pratiques : si on s’intéresse aux coniques, on trouve immédiatement au chapitre III (”géométrie”) qu’il faudra consulter la chemise 41 située dans le carton II. Il faut cependant garder en tête que beaucoup de ces feuillets sont non datés, que certains ne sont pas de la main d’Ampère et que certains sont des copies.

Inventaire analytique & numérisation moderne

Numérisation

Les feuillets d’Ampère sont librement consultables. Au curieux d’aller chercher. Mais chercher dans des milliers de feuillets est un poil longuet. Il faut saluer ici deux initiatives majeures sans lesquelles ce texte n’aurait pas existé. La première provient de la Société des Amis d’Ampère qui a œuvré et publié un inventaire quasi-analytique des 394 chemises sous la forme d’une vingtaine de cahiers, malheureusement aujourd’hui difficilement trouvables. La seconde initiative part du principe que conserver et inventorier, c’est bien… mais que diffuser… c’est mieux ! Et, de nos jours, pour diffuser, il faut… numériser. Projet d’envergure réalisé en 2008, soutenu par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et, entre autres, par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Projet abouti : quelque 53 400 vues sont aujourd’hui en ligne, accompagnés d’une indexation qui en facilite la consultation et la recherche de documents spécifiques. Le lecteur est invité à y flâner.

Chapitre XX, carton XXVI, chemise 392, 1 feuillet

Fig. 1 : Feuillet d’Ampère

Il en va du classement d’un fond d’archive comme de l’organisation de cartons de déménagement. Au début, tout va bien : à chaque objet bien identifié son contenant, à chaque contenant son contenu bien identifié. Logique, bien précis et bien organisé. Mais à mesure que les choses progressent et que le reste à classer diminue, on découvre des choses sinon inclassables… du moins susceptibles d’être affectées à des cartons différents. Il y alors trois choix possibles : 1) simplement se débarrasser de l’objet litigieux, 2) lui créer un carton spécifique, 3) faire des cartons ”fourre-tout”. L’archivistique, heureusement, exclut généralement l’option n°1 mais, manquant souvent de place (mètres linéaires de rayonnage), privilégie l’option 3 à l’option 2. Cela conduit à ces 394 chemises dont certaines contiennent des feuillets a priori inclassables soit parce que l’écrit contient sur une seule page des choses très variées soit parce que personne ne sait vraiment ce que revêt leur contenu. Ampère avait cette fâcheuse habitude d’économiser le papier, ou du moins de conserver d’anciennes feuilles partiellement utilisées pour les réutiliser comme support de brouillons et d’y noter tout, ici, là, ailleurs ou finalement n’importe où : Flaubert (1821 – 1880) le rejoint dans une bibliomanie qu’il évoque lui-même dans sa correspondance :

Jamais je ne jette aucun papier. C’est de ma part une manie.

Lettre de Flaubert à Louise Colet, 26 avril 1853.

Je suis encombré par tant de notes, de lettres et de papiers que je ne m’y reconnais plus. Aussi c’est après-demain, sans faute, que je me mets à remuer tout le fumier de ma vie. Quelles ordures je vais y retrouver ! (Car je n’ai jusqu’à présent brûlé aucun papier). Ce sera une longue besogne ! Mais j’y apprendrai sans doute des choses dont je ne me doute plus.

Lettre de Flaubert à Louise Colet, 9 décembre 1853.

Tout cela, parfois, rend difficile le classement des documents et fait qu’il y en a beaucoup intitulés pudiquement ”notes diverses” juste pour dire que c’est intéressant mais qu’on ne sait pas trop où les ranger. C’est ici qu’apparaît un feuillet de la chemise 392 qui attire l’œil et fait l’objet de ce billet. Ce document, légèrement plus grand qu’un format A5, contient clairement trois parties distinctes. Mais pourrait-on les relier entre elles ? Dans ce billet, nous allons analyser la première partie du document.

Les vers admis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 2 : Agrandissement de la partie supérieure du feuillet

Ampère était latiniste chevronné. Cette partie du feuillet est facilement déchiffrable : il s’agit des vers admis pour reprendre la dénomination d’Ampère. La versification latine ignore la rime et l’isosyllabisme. Pour la comprendre, il faut oublier les auteurs français du XVII^e siècle et leurs alexandrins car chez les Latins la métrique, héritée des Grecs repose principalement sur l’alternance de syllabes longues (—) ou brèves (∪). Au niveau de la rythmique musicale, en gros, une longue vaut deux brèves.

Les syllabes se définissent autour de voyelles constituantes, longues ou brèves, dont la longueur impose celle de la syllabe constituée. Certaines, en particulier en finales de mots, sont dites anceps (∪) : seul leur environnement permet de connaître la longueur choisie par le poète. Dans un vers donné, il relève de la prosodie d’identifier quelles sont voyelles courtes et voyelles longues.

La poésie latine regroupe ces syllabes en pieds (ou mètres) ; qu’importe si un pied se construit sur plusieurs syllabes consécutives n’appartenant pas à un même mot, même si l’on considère qu’une fin de pied tombant sur une fin de mot est un atout stylistique. Les principaux pieds⁵ sont indiqués dans le tableau suivant :

spondée : — —	trochée : — ∪
dactyle : — ∪∪	iambe : ∪ —
anapeste : ∪∪ —	tribraque : ∪∪∪

L’association de pieds conduit aux vers, de structures très variées : à la métrique de les analyser. La scansion, couplage de prosodie et de métrique, distingue un pied du suivant par la notation “/” ou “|”. Les notations “//” ou “||’ (qui peuvent parfois se superposer à une fin de pied) sont réservées aux coupes (césures), pauses vocales plus ou moins prononcées, qui doivent tomber entre deux mots. Signalons enfin une autre liberté donnée au poète du fait de l’équivalence de longueur vocale entre monosyllabique — et dissyllabique ∪∪ : on peut parfois remplacer l’un par l’autre ; on note alors ∪∪ pour indiquer cette possibilité de substitution.

Ampère mentionne dans ce feuillet au moins sept familles de vers avec, pour chacun, les différentes substitutions admises. Prenons-les dans l’ordre inverse, sachant qu’il n’a pas été possible d’identifier une structure métrique bien attestée pour les deux dernières scansions proposées. On reconnaît le phérécratéen, l’anapestique, le pentamètre (h)endécasyllabique (qui fera son chemin jusqu’à notre époque moderne) et le saphique… tous issus de la métrique grecque et utilisés par les auteurs latins, mais avec parfois les ajustements nécessaires à une langue latine dont la morphologie et la phonétique ne se prêtaient pas toujours à un calque facile. Notons qu’Ampère, sans nécessairement se tromper mais appliquant les règles en vigueur de son temps, utilise des modèles de scansion aujourd’hui abandonnés et qui ont été revus par les études modernes. Tel est le cas pour le pentamètre dactylique qu’il écrit comme :

 

— ∪∪ | — ∪∪ | — — | ∪∪ — | ∪∪ —

 

là où l’analyse contemporaine (joliment qualifiée aujourd’hui de deux tripodies cataleptiques) retient plutôt une scansion dans laquelle ­☐ désigne une syllabe manquante, compensée musicalement par un allongement de la syllabe précédente :

 

— ∪∪ | — ∪∪ | — ☐ | — ∪∪ | — ∪∪ | ∪ ☐

 

L’hexamètre

Ampère met en tête de liste l’hexamètre, schéma le plus productif de la poésie gréco-latine. En grec, Homère en produira plus de 12 100 pour l’Odyssée, plus de 15 600 pour l’Iliade. Lucrèce en écrira plus de 7 400 pour le De Rerum. Virgile en écrira 10 000 pour l’Enéide, œuvre qui commence par un des vers les plus connus de la poésie latine⁶ :

Envie d’écouter des hexamètres ? Voici récités trois vers d’Ovide (Métamorphoses, III) qui décrivent Narcisse découvrant son reflet⁷ :

 

En voici une transcription musicale raisonnable :

 

L’hexamètre latin est un véritable carcan, aux règles extrêmement strictes. Ampère en donne une forme très rigide restreinte à l’hexamètre dactylique (dactyle au 5^e pied) :

 

— ∪∪ | — ∪∪ | — ∪∪ | — ∪∪ | — ∪∪ | — —

 

On admet en fait aussi l’hexamètre spondaïque (spondée au 5^e pied), rare (environ 10 %), ainsi qu’une finale anceps :

 

— ∪∪ | — ∪∪ | — ∪∪ | — ∪∪ | — ∪∪ | — ∪

 

Les hexamètres de Lucrèce sont impeccables, ceux de Virgile sont parfaits. Tous deux ont su utiliser la souplesse de la langue pour entrer dans le moule et les magnifier. Mais leur style est différent. Lucrèce enseigne : il donne un cours magistral et sa vérité, sans vraiment laisser de place au lecteur. Virgile est poète, lui laisse une part de rêve et d’interprétation, le laisse se projeter dans ses vers et s’identifier aux différents protagonistes. Pour les dépasser et renouveler l’exercice, il faudra créer de nouveaux paradigmes qui s’affranchiront des modèles antiques : chaque langue romane adoptera une versification adaptée à sa structure et à son oralité.

Mais le carcan métrique que constitue l’hexamètre a un avantage (le même qu’aura l’alexandrin) : la facilitation de la mémorisation de longs textes structurés relevant de l’épopée, du narratif ou du didactif. Ampère, enseignant, va utiliser ce schéma métrique pour valoriser une réflexion majeure qui reflète toute l’organisation, la logique et la rigueur de sa pensée.

Optimo et carissimo filio : l’œuvre d’une vie

Ampère passa en effet trente ans de sa vie⁸ à identifier et classifier les connaissances. La tâche est d’ampleur et il n’y est pas le premier à s’y être attelé : d’autres le firent avant, d’autres le firent après. Il travailla un peu comme Linné (1707 – 1778) avait procédé pour la classification du vivant, construisant de nouveaux mots, souvent issus du grec, pour définir telle ou telle discipline ou sous-discipline, allant du plus général au plus particulier. Cette classification très hiérarchisée porte les germes de l’organisation scientifique d’aujourd’hui. Nombre des mots forgés par Ampère n’ont pas perduré, trop compliqués, trop originaux, trop peu usités, remplacés ou absorbés par d’autres⁹.

Certains sont restés : électrodynamique, son titre de gloire en 1820, cinématique, cybernétique, solénoïde. D’autres ont vu leur définition affinée : courant et tension. Ce travail est exposé dans son ouvrage intitulé Essai sur la philosophie des sciences, sous-titré Exposition analytique d’une classification naturelle de toutes les connaissances humaines, publié à partir de 1834. Son fils Jean-Jacques en assurera la complète publication.

Mais comment résumer tout cela ? Lucrèce, dans la lignée d’Épicure, avait décrit son monde en 7 400 hexamètres, utilisant souvent, faute de disposer de tout le vocabulaire ad hoc, nombre de périphrases ou d’allégories ; il n’en faudra que 179 à Ampère, plus prosaïque, pour classifier le sien. C’est un tour de force, longuement mûri et réfléchi¹⁰. Ce Carmen mnemonicum (on pourrait traduire par “poème mnémotechnique”), dédié à ce fils qu’il adore, démarre ainsi¹¹ :

 

Ut mundum noscas, moles et vita notandae :
A. Mensura et motus primum mox corpora et omne
B. Viventum genus et vitam quae cura tuetur
Ad mentem referas quae menti aut gentibus insunt :
C. Nempe animum disces animi que flectere sensus
D. Ars queat et populos et qua ratione regendi

 

L. de Launay en donne la traduction suivante : “Pour connaître le monde, il te faut observer la matière et la vie : d’abord la mesure et le mouvement, puis les corps, les races des êtres vivants et la manière de protéger la vie. Etudie ensuite ce qui concerne l’âme et les nations. Apprends les opérations de l’esprit, l’art de modifier les pensées, les caractères et l’histoire des peuples et la manière de les gouverner.” Voici le commentaire qu’il en fait : “Nous avons là en six vers : les deux règnes (matière et vie, moles et vita) ; puis leurs quatre subdivisions cosmologiques (A), physiologiques (B), noologiques (C), sociales (D) et les huit embranchements occupant chacun un demi-vers : mensura et motus (mathématiques) ; corpora (physiques) ; viventum genus (naturelles) ; cura vitae (médicales) ; animum (philosophiques) ; ars flectendi sensus (nootechniques, littérature, pédagogie, etc.) ; populos (ethnologiques) ; quae rationae regendi (politiques). Ce Carmen mnemonicum continue, avec la même précision concise, à définir chaque science en un ou deux mots”.

Tout est posé dans ces dix premiers vers. Fond et forme. Ampère a lui-même commenté ces hexamètres :

J’ai ajouté à mon tableau des vers latins par lesquels, conformément à un vieil usage, trop abandonné peut-être aujourd’hui, j’ai cherché à exprimer et à graver ainsi plus facilement dans la mémoire, les objets auxquels se rapportent les vérités comprises dans chacune des divisions de ma classification.

Il convient de signaler les deux embranchements qui s’opèrent dès cet exorde : d’emblée se fait la scission entre sciences dites cosmologiques (A & B : mesurables, quantifiables, observables, immuables mais dont les constituants se meuvent, vivent et évoluent) et sciences dites noologiques (C & D : celles qui proviennent non de la seule nature mais aussi de constructions plus ou moins arbitraires de l’esprit humain), selon les qualificatifs utilisés par Ampère. Aujourd’hui, on dirait “sciences dures” et “SHS”.

Conclusion

Dix-huit siècles séparent les vers d’Ampère de ceux de Lucrèce et leur description respective de la Nature. Les connaissances ont progressé, se sont formalisées, leur classification également. Il n’en reste pas moins un point fixe : l’hexamètre, immuable dans sa structure, seul préservé, que l’on se targua d’écrire jusqu’au début du XX^e siècle. Finalement, un carcan qui perdure pendant plus de vingt-sept siècles, depuis Homère, quelque ajusté ou malmené qu’il ait pu être, c’est peut-être un bon modèle, surtout quand finira par émerger l’alexandrin français qu’Ampère aurait pu choisir pour écrire sa classification des connaissances. Privilégiant l’hexamètre, il se pose comme successeur de Lucrèce.

Deux autres parties de ce feuillet restent à analyser… et l’on verra que l’hexamètre n’a pas encore dit son dernier mot. Mais rendons ici hommage aux personnages du XIX^e siècle¹² mentionnés dans ce texte, finalement, ils sont un peu cosignataires :

 

Fig. 3 : Signatures d’Ampère, Julie et autres.

 

Olivier Parisel

Directeur de Recherche CNRS

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Remerciements

L’auteur tient à remercier Mme M. Contrant pour l’oreille attentive portée à la transcription musicale des trois hexamètres d’Ovide, ainsi que M. J. Vaissier pour ses clarifications quant à la métrique latine. Sont également remerciés les personnels des Archives de l’Académie des sciences.

 

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Crédits :

• Illustration mise en avant : Ampère en académicien. Plâtre de 1881 réalisé par le sculpteur Charles Textor (1835-1905) en vue d’un projet de monument pour la Ville de Lyon. La statue définitive sera inaugurée en 1888 par Sadi Carnot, président de la République. Musée des Beaux-Arts de Lyon.

• Figures 1 et 2 : Archives de l’Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXVI, chemise n°392.

• Figures 3 : Archives nationales, MC/ET/LXXXII/923.

 

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1. Ampère se remaria début août 1806 avec Jeanne Françoise Potot (1779-1866), dite Jenny. Mariage a priori peu heureux : la séparation a lieu dès novembre 1806, quand Jeanne Françoise se sait enceinte, alors qu’elle ne voulait pas d’enfant. Anne Joséphine Albine (1807 – 1842) naîtra cependant le 6 juillet 1807, mais la rupture est consommée. Deux procès auront lieu (jugements des 5 avril et 17 mai 1808), qui enjoignent à la mère de réintégrer le domicile conjugal. Elle s’y refusant, Ampère récupère la garde d’Albine qui était placée en nourrice. La séparation de corps sera réglée par contrat “amiable” le 11 juillet 1808. Juridiquement, il n’y eut jamais de divorce officiel : Jeanne Françoise Potot est bien présente, en tant que veuve, le 25 octobre 1836, lors de l’inventaire après décès réalisé en présence de Jean Jacques, le fils, et d’Albine, la fille, tous présents et signataires (Arch. nat., MC/ET/LXXXII/923) au 19 rue des Fossés Saint-Victor, résidence parisienne d’Ampère depuis 1818, lieu où, dans la seconde quinzaine de 1820, il établit dans une fulgurance géniale et furibonde (le terme est d’Ampère) portée par les toutes récentes expériences d’Arago et de Ørsted les bases de ce qu’il appellera l’électrodynamisme. Ce sera son plus grand titre de gloire : il vient en fait de poser les fondements théoriques de l’électromagnétisme. Cette adresse correspond aujourd’hui à l’immeuble construit en 1850 situé au 29 bis de la rue Monge à son carrefour avec la rue des Boulangers et la rue du Cardinal Lemoine. Une plaque au premier étage de la façade ainsi qu’un panonceau de la Ville de Paris rappellent la présence d’Ampère en cet endroit. Pour l’anecdote, il existe de l’actuel immeuble une photographie prise le 25 août 1944, jour de la libération de Paris, au moment où la 2e DB passe ou stationne devant. [↩]
2. Il succède au fauteuil 37 à Jacques-Bénigne Bossuet (1627 – 1704), l’Aigle de Meaux, élu en 1671, et aura entre autres successeurs Maurice de Broglie (1875 – 1960), physicien élu en 1934, également membre de l’Académie des sciences(1924), où son frère Louis (1892-1987), père fondateur de la mécanique quantique auréolé du prix Nobel de physique en 1929, le rejoindra en 1933 puis, en 1944, à l’Académie française (fauteuil 1). [↩]
3. Lequel avait représenté l’Académie française aux obsèques de Chateaubriand en juillet 1848 en tant que chancelier de l’institution, rejoignant à Saint-Malo la dépouille de son ami, l’accompagnant même jusqu’au Grand Bé, ce “rocher que lui-même a choisi pour y placer son tombeau”. [↩]
4. La maison familiale de Poleymieux existe toujours : c’est actuellement un musée dédié. C’est également le siège de la Société des Amis d’Ampère. [↩]
5. La métrique latine reconnaît au moins 32 variétés de pieds… Ne sont mentionnés ici que les di- ou trisyllabiques parmi les plus usuels. [↩]
6. “Je vais chanter un homme et sa guerre, celui qui le premier, depuis les rivages de Troie…”. Ce vers était à tel point connu qu’on le trouve, totalement ou partiellement, dans les graffiti de Pompéi (et même ailleurs). Parfois même pastiché de belle façon : Fullones ululamque cano, non arma virumque, hexamètre qui révèle toute sa saveur quand on sait qu’il fut découvert (1913) sur une maison appartenant à un certain Fabius Ululitremulus, repris par le substantif ulula qui désigne en pratique une… chouette, que ladite bâtisse était en fait un atelier de foulerie (une tannerie), donc remplie de foulons, et que le latin fullones peut désigner soit des foulons soit des… hannetons. [↩]
7. Nous reprenons ici la traduction des Métamorphoses par Marie Cosnay (Editions de l’Ogre, Paris, 2017) : “Il aime un espoir sans corps. Il croit que c’est un corps, c’est de l’eau. / Il est stupéfié ; immobile, à son visage / Il s’accroche, comme une statue en marbre de Paros.” [↩]
8. Les documents relatifs à la classification des connaissances sont regroupées aux Archives de l’Académie des sciences, fonds Ampère, dans les chemises 256 à 260, 264, 265 et 268. [↩]
9. Ne sont pas vraiment rentrés dans l’usage, même scientifique, des termes tels que : arithmographie, oryctotechnie, zooristique ou encore threpsiologie. [↩]
10. On pourra en consulter plusieurs versions dans les Archives de l’Académie des sciences, carton XIV, chemise 256 et carton XV, chemises 257 à 260. [↩]
11. Leur scansion révèle, pour les premiers, une accumulation de spondées : rythme lent, un peu solennel. Ton paternel professoral “à la Lucrèce” ? [↩]
12. On lit facilement : A. Ampère (1775 – 1799/1806 – 1836 ; Arch. Acad. Sc., fonds Ampère, XXVI, 393) ; Julie (1773 – 1799 – 1803, Arch. Acad. Sc., fonds Ampère, XXIII, 331). Les signatures du troisième document (précédées, à gauche, des simples paraphes – initiales) proviennent de l’inventaire après décès de 1836 mentionné précédemment (cf. note 1 : Arch. Nat., MC/ET/LXXXII/923) : J(eanne) F(rançoise) Potot (1778 – 1866), veuve Ampère (“Jenny”) ; A(nne) J(oséphine) A(lbine) Ampère (1807 – 1842), épouse Ride ; J(ean) J(acques) Ampère (1800 – 1864) ; P(ierre) N(izier) Lenoir (1779 – 1856), ancien fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur, mais surtout membre du petit cercle d’indéfectibles amis constitué à Lyon vers 1797 – 1798. Il agit dans cet acte en tant que conseil de mesdames Ampère et Ride, respectivement Jenny et Albine. Deux autres signatures apparaissent, celles des notaires : E(dmé) Delaloge & J(acques François Hyacinthe) Lehon. La toute dernière signature est celle de la personne en charge d’établir et de percevoir les frais liés à la réalisation et au traitement administratif du document. [↩]

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